Figure emblématique de l’avant-garde artistique du XXᵉ siècle et contributeur de la première heure aux mouvements dadaïste et surréaliste, Man Ray fut à la fois peintre, photographe et réalisateur. Son approche expérimentale et son refus du cloisonnement entre les disciplines sont aujourd’hui à l’honneur du 78e album de Reporters sans frontières.
Né Emmanuel Radnitsky en août 1890 aux États-Unis, Man Ray manifeste très tôt un intérêt prononcé pour les arts. À New York, il fréquente la Galerie 291 d’Alfred Stieglitz et rencontre Marcel Duchamp, avec qui il fonde la branche américaine du mouvement dada. Ensemble, ils défient les conventions artistiques établies, explorant de nouvelles formes d’expression et remettant en question la notion même d’art. Incompris dans son pays, Man Ray suit son ami Marcel Duchamp en France en 1921, et s’intègre rapidement au cercle des surréalistes, côtoyant des figures telles qu’André Breton, Paul Éluard ou Louis Aragon. Dès 1922, ses portraits de peintres et d’écrivains sont publiés dans Vanity Fair. À Montparnasse, où il possède son atelier qui deviendra un lieu de convergence pour les artistes et les intellectuels, il fait la connaissance de Kiki. Elle deviendra son amante, sa muse et le modèle de certaines de ses photos les plus emblématiques, telles que Le Violon d’Ingres (1924), où Man Ray appose à l’encre de Chine des ouïes de violon sur son dos nu, ou encore Noire et blanche, réalisée en 1926 sur laquelle on peut voir le visage de Kiki de Montparnasse posé sur une table tandis qu’elle tient un masque africain dans sa main gauche.
Innovations photographiques et héritage durable
Photographe de mode pour des magazines comme Vogue et Harper’s Bazaar, Man Ray est par ailleurs un touche-à-tout qui va introduire des techniques novatrices en photographie. Il perfectionne le photogramme, expérimenté avant lui par Christian Schad et László Moholy-Nagy, en y apportant une dimension surréaliste, combinant hasard et composition. Il rebaptise même la technique « rayographie ». Aux côtés de la mannequin américaine Lee Miller, qui deviendra par la suite photographe, il redécouvre également la solarisation. Selon la légende, cet épisode serait le fruit d’un accident, Lee Miller ayant allumé par erreur la lumière pendant le développement ce qui a provoqué des effets de contour lumineux et une inversion partielle des tons. La solarisation deviendra un élément clé du style de Man Ray que l’on retrouve notamment sur le portrait de Lee Miller en couverture de l’album de Reporters sans frontières, ainsi que sur son autoportrait de 1931 et celui de Dora Maar présents dans l’album.
Une œuvre aux multiples facettes
Outre la photographie, Man Ray s’est aventuré dans le cinéma expérimental. Ses courts-métrages muets, tels que « Le Retour à la raison » (1923), « Emak-Bakia » (1926) et « L’Étoile de mer » (1928), témoignent de son esprit d’avant-garde et de son refus des conventions narratives traditionnelles. Alors que la guerre éclate, Man Ray fuit la persécution des Juifs en Europe et retourne aux États-Unis où il rencontre Juliet Browner, danseuse et modèle américaine qu’il épouse en 1946. Dès lors, il délaisse la photographie pour reprendre les pinceaux. Il reviendra à Paris en 1951 et y restera jusqu’à sa mort en 1976 mais ne reprendra qu’exceptionnellement son appareil photo.
Un héritage persistant
Pionnier dont l’audace et l’innovation ont redéfini les contours de la création artistique, Man Ray continue d’influencer de nombreux artistes contemporains et de faire l’objet d’expositions dans le monde entier. L’hommage que lui rend Reporters sans frontières illustre d’ailleurs la modernité intemporelle de son regard et le rôle fondamental de l’image dans la défense des libertés.
« J’essaie simplement d’être le plus libre possible. Personne ne peut me dicter ou me guider dans ma manière de travailler ou dans le choix de mes sujets. On peut me critiquer après coup, mais c’est trop tard. Le travail est accompli. J’ai expérimenté la liberté. » Man Ray